Interview avec Luc Julia, cofondateur de Siri, CTO et Vice-Président Innovation SAMSUNG

Interview avec Luc Julia, cofondateur de Siri, CTO et Vice-Président Innovation SAMSUNG

« Je suis très content des gens très forts en hardskills, mais en même temps je peux les détester s’ils sont déficients en softskills, car ils ne sont pas bons dans la vie »

Dr Luc Julia, co-créateur de Siri et Vice-Président de l’innovation chez Samsung Electronics, dirige le Laboratoire d’intelligence artificielle de Samsung (SAIL) à Paris. 
Après avoir obtenu un DEA d’informatique à l’Université Pierre-et-Marie Curie, Luc Julia réalise un Doctorat d’informatique à l’École Nationale Supérieure des télécommunications. Chercheur dans les domaines des interfaces vocales à la Silicon Valley, il participe au lancement de Nuance Communications et fonde le Computer Human Interaction Center (CHIC).
Expert en intelligence artificielle, titulaire de nombreux brevets et distinctions, Luc Julia partage avec nous son point de vue sur l’IA et la formation. 

En tant que manager, que vous inspirent les softskills ?
Je suis pour la pluridisciplinarité. Je suis très content des gens ayant de bons hardskills, mais en même temps je peux les détester s’ils sont déficients en softskills, car ils ne sont pas bons dans la vie. Je veux des ingénieurs ouverts sur le monde. Je veux qu’ils comprennent leur spécialisation à l’aune des softskills, ce que moi j’appelle la vie. Une personne douée en histoire, en philosophie, cela m’intéresse. La pluridisciplinarité d’une équipe est très importante mais je cherche surtout des collaborateurs qui soient curieux et capables de s’intéresser à plusieurs disciplines. 

Quels sont les outils que vous privilégiez pour mettre en place les softskills ?
Je privilégie l’autorité “tu le fais” tout en donnant réellement du temps pour le faire. Pour cela, j’ai instauré le 20% play time, pendant 1 jour par semaine mes collaborateurs font tout sauf mes projets. Ils s’intéressent à autre chose, travaillent sur des projets qui les passionnent ou pratiquent des activités qui permettent le développement de softskills. Ils peuvent par exemple faire des Moocs ou assister à des conférences de chercheurs de Harvard ou Stanford.

Pouvez-vous me donner une anecdote sur les personnes qui sont très fortes en hardskills mais déficientes en softskills ?
L’hyperspécialisation mène à de l’arrogance. Les hyperspécialisés ne veulent pas échanger, partager et collaborer avec les équipes. Ces comportements et le manque de pluridisciplinarité entraînent des conflits d’équipes.

Certaines pratiques comme le 20% playtime sont-elles un remède pour que les équipes soient innovantes ? 
Je combine le 20% playtime à d’autres méthodes. Je considère que 8 heures de travail par jour c’est trop, c’est pour ça que je veux les laisser respirer. Mes collaborateurs travaillent sur plusieurs projets durant une même semaine. La diversité des projets et des tâches permet au cerveau de s’aérer et de consolider les informations. Au final, le collaborateur est plus créatif, il réalise un travail de meilleure qualité. Six heures de travail effectif par jour me parait optimal.

Comment la transformation digitale permet-elle une révolution managériale ?
Je pense que le confinement a mis en lumière la force du digital : les outils de partage entre les équipes rendent les collaborations numériques beaucoup plus intéressantes. Pour nous, ce n’est pas une découverte. Ces outils amènent de l’agilité. 

Comment les entreprises françaises font face aux changements managériaux ? 
Tout commence par l’éducation. Il est important de s’éduquer et de comprendre la face cachée de ces outils. Il ne faut pas écouter les mythes diffusés à la télé. L’IA sont des outils mathématiques logiques. Il est nécessaire de comprendre comment les data sont utilisées et récoltées. Si l’on ne comprend pas comment l’IA fonctionne, on ne peut pas se poser les bonnes questions ; tant sur la qualité des datas, que sur leur collecte ou le contexte de la collecte. Les IA posent beaucoup de problèmes éthiques, on peut mal les utiliser, mais en soi ce sont les humains qui créent le risque.

Quels sont les enjeux de l’IA envers l’intelligence émotionnelle ?
On sait appliquer l’IA à des choses faciles. Maintenant on va passer un cran au-dessus. 
La parole, par exemple, amène de l’émotion. L’IA pourra comprendre que, lorsque quelqu’un s’énerve, le message est modifié par les émotions. On va apprendre à ajouter des paramètres, des multi modalités qui permettront une analyse plus poussée du discours. L’émotion sera de plus en plus analysable.

Est-ce qu’il peut y avoir des IA spécialisées dans la formation ? 
Oui il y en a, par exemple, dans l’aide à la formation ou dans le choix des thèmes à travailler. Des IA analysent déjà des comportements, des CV ou encore des écrits. 

L’IA peut-elle s’appliquer à tout ?
Bien qu’ils posent de nombreux problèmes éthiques, les champs d’application de l’IA sont vastes. Comme tous les outils, ils vont être spécialisés dans des domaines particuliers.

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