Échange avec Martine Assar sur les soft skills à l’ère du digital

Échange avec Martine Assar sur les soft skills à l’ère du digital

Martine Assar, responsable Formation, Métiers et Compétences en charge de l’Observatoire des métiers de l’IMT _ INSTITUT MINES TELECOM & Chef de projet “Osons l’industrie du futur”, nous en dit plus sur la révolution digitale et l’importance de la maîtrise des soft skills pour la métamorphose industrielle.  

Quels sont les enjeux de l’intelligence émotionnelle dans le monde professionnel ? 

L’intelligence émotionnelle est composée de deux termes contraires : l’intelligence, qui fait référence à l’analyse et au raisonnement, et l’émotion qui renvoie à un état affectif. Pour essayer d’en donner une définition courte, on parle généralement de la capacité à reconnaître, identifier et définir ses émotions et celles des autres pour les comprendre et les gérer à bon escient. 
Dans le monde professionnel actuel, le fait de pouvoir se connaître et maîtriser ses émotions devient une compétence comportementale de plus en plus nécessaire. Et à l’heure de la crise sanitaire que nous vivons, cela devient indispensable. Mieux appréhender sa météo émotionnelle intérieure permet d’améliorer sa relation avec les autres. De plus, la capacité de bien connaître et être à l’écoute des autres permet de motiver et favoriser l’implication de ses collaborateurs, mais également de construire des communications plus saines, avec plus de coopération et avec pour résultat une meilleure performance individuelle et collective. Nous sommes entrés dans la 4ème révolution industrielle. Les entreprises ont besoin de collaborateurs qui s’impliquent dans cette révolution digitale avec une faculté d’adaption en continu. Cette révolution n’est possible que si les collaborateurs sont capables de mettre en œuvre des compétences de savoir-être. L’identification de ces compétences a été réalisée dans le cadre du Projet « Osons l’industrie du futur » dans plusieurs secteurs de l’industrie.

Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur “Osons l’Industrie du Futur”? 

En tant que chef de projet, j’ai piloté la participation de l’IMT dans le Projet “Osons l’industrie du futur”. Ce projet, conduit par l’Alliance industrie du futur (AIF) dans le cadre d’un PIA CSTI, a rassemblé plusieurs partenaires : l’UIMM, l’ENSAM, l’ONISEP et l’IMT. 
Pour recontextualiser la naissance de ce projet, il faut revenir aux années 2000, avec un climat industriel assez morose lié à de nombreux plans sociaux, à des délocalisations également. En 2012, un rapport produit par Louis Gallois met en évidence la forte baisse d’attractivité de l’industrie française liée à des considérations comme la pénibilité, les tensions sur l’emploi, le non-respect des préoccupations environnementales … Au niveau de la formation, on a également observé un manque d’adéquation avec les besoins des entreprises industrielles. Contrairement à l’Allemagne, qui lançait le concept d’industrie 4.0 dès 2011, la France était en retard sur la robotisation ou l’intelligence des objets. 

Arnaud Montebourg, Ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique a décidé de lancer le grand programme de la Nouvelle France industrielle en 2013 et nous sommes rapidement passés à l’action pour lancer la modernisation et la numérisation de notre appareil productif.
Le projet « Osons l’industrie du futur”est né en mars 2016. C’est un projet collaboratif qui prend acte des différentes transformations dans la société, et qui a comme objectif de rendre l’industrie plus attractive. Ce projet vise à sensibiliser les différents publics cibles comme les jeunes, leurs parents, les différents prescripteurs et les salariés à la transformation des secteurs et des métiers à l’aune de l’intégration des nouvelles technologies. Il est également destiné aux différents opérateurs de formation (publics ou privés) afin de les aider à mettre à jour voire à créer de nouveaux parcours de formation dans le souci de mieux former à l’industrie du futur.

Nous avons étudié 6 familles métier qui rencontrent des difficultés de recrutement, qui sont transfilières et qui concernent plusieurs branches industrielles: la recherche et la conception, la production, la supply chain, la maintenance, le big data et le management. Nous avons produit 6 études sectorielles, 18 fiches métiers, 18 kits de compétences, 8 modules complémentaires sur des thématiques clés, 6 livrets de communication et 2 espaces de diffusion (le site Osons l’industrie et l’espace Mon industrie sur le site de l’Onisep). Toute cette production est accessible gratuitement sur le site Osons l’industrie (http://www.industrie-dufutur.org/osons-lindustrie/).

Les soft skills font-ils partie de la 4ème révolution et quelle est leur place? 

On a souvent entendu et pu lire des études assez alarmistes nous dire que l’être humain va être chassé des usines par les robots, avec des milliers d’emplois supprimés. On ne peut être aussi catégorique que cette affirmation, il y aura des disparitions d’emplois et de métiers, certes, mais elles seront plus dues à une transformation de ces derniers vers des métiers plus qualifiés. Il faut se dire que rien ne remplacera jamais l’intelligence humaine. Celle-ci met en oeuvre un assemblage de compétences qui est en constante évolution et adaptation. 
Ainsi, on voit une forte tendance, depuis quelques années, à rechercher particulièrement les compétences liées aux savoir-être. Une étude du World Economic Forum de 2016 plaçait l’intelligence émotionnelle à la 6 ème place du classement des 10 compétences clés à l’heure de la quatrième révolution industrielle. 
On a beaucoup de mal à trouver une expression qui synthétise ce type de compétence : savoir comportemental, savoir socio-comportemental. Pléthore d’expressions pour essayer de dire que toutes ces compétences sont indispensables pour appréhender et intégrer les nouvelles technologies en s’y adaptant. Leur intégration va induire des changements dans l’exécution des activités, ce qui va requérir de la part de chaque collaborateur des capacités de collaboration, d’adaptation et une meilleure communication. L’industrie du futur donne beaucoup plus sa place à l’humain, à son épanouissement et à son bien-être, en tout cas, c’est le souhait de plus en plus exprimé par l’ensemble des salariés même si cela est fortement porté par les nouvelles générations qui recherchent du sens au travail. Les nouvelles technologies serviront à décharger l’humain du travail pénible et lui permettront de développer sa créativité et son sens de l’innovation. Nous voyons qu’il s’agit plus aujourd’hui d’assembler des compétences clés, c’est précisément cet assemblage, cette combinaison qui doit constituer le cœur de la transformation des entreprises.

Quels sont les atouts de ces soft skills en entreprise ? 

Une étude sur l’OCDE en 2018 démontre qu’en 1969 une compétence technique durait un peu plus de 22 ans alors qu’en 2018 cette même compétence avait une durée de 2 ans et demi. Pour faire face à l’évolution de son métier, la faculté à acquérir de nouvelles compétences, à se former en continu et à être ouvert seront des éléments fondamentaux. On a pris acte de l’obsolescence des compétences, et le meilleur remède pour être en phase avec les tâches dont on a la charge, c’est de se former en continu et d’adapter ses compétences. 
Les polycompétences sont le corollaire d’une transformation industrielle efficiente. Les compétences techniques et socio-émotionnelles doivent se combiner pour être plus efficaces et plus performantes, aussi bien pour les organisations que pour les individus.  Les profils performants seront des profils hybrides avec une palette de compétences très étendue. 

Quelles sont les bonnes pratiques faites en entreprise pour mettre à niveau les soft skills ?

Vous avez différentes pratiques. Certaines entreprises ont pris le parti de créer des structures internes de formation. Des structures physiques (des académies, des universités) qui réalisent au préalable une cartographie des compétences nécessaires dans leur organisation pour mieux évaluer ce qu’il sera nécessaire de positionner en termes de formation. 
D’autres entreprises ont misé sur des campus virtuels, pour permettre aux salariés de renforcer des compétences qu’ils mobiliseront rapidement, dans le souci de permettre à chaque salarié d’être en adéquation avec son poste de travail
Et certaines ont décidé, en lien avec la “loi choisir son avenir professionnel” du 5 septembre 2018, de créer leur propre CFA pour pouvoir gérer la formation initiale. Les entreprises, seules ou accompagnées d’entreprises du même secteur, coopèrent pour former des apprentis directement employables dans leurs organisations.
Les entreprises ont amorcé une démarche de réactivité. Elles ont pris conscience que la formation était un levier stratégique dans la bonne transformation de leur organisation, et c’est pourquoi elles n’hésitent plus à investir massivement dans ce secteur.  
Pour aller plus loin sur le sujet, je vous invite à télécharger l’enquête où nous avons mis le focus sur la formation en entreprise, en mettant en lumière d’une part, la mutation opérée par le numérique dans le secteur de la formation, et d’autre part, le positionnement  dans ce nouveau contexte des acteurs traditionnels de la formation pour repenser leur place, leur rôle par rapport à des nouveaux concurrents qui vont bousculer ce secteur (https://www.imt.fr/formation/debouches-et-metiers/la-formation-en-entreprise-une-enquete-sur-les-defis-a-relever/).

Pouvez-vous me mentionner une anecdote sur l’importance des softskills? 

Pendant le projet « Osons », nous avions organisé une table ronde sur le secteur de la maintenance en collaboration avec l’IUMM de Saint-Etienne, avec plusieurs entreprises et professionnels de la maintenance. Un responsable de maintenance nous a confirmé toute la difficulté qu’il avait à intégrer des jeunes. Certains jeunes pensent que seuls les savoir-faire sont importants, ils le sont et le resteront assurément mais plus tout seuls. Chaque jour, il avait à répéter des bases de la politesse comme dire bonjour ou communiquer régulièrement avec ses collègues. Le manque de savoir-être de ces jeunes était problématique pour leur intégration, entraînant des départs volontaires ou forcés. Les jeunes générations demandent plus de bien-être, mais certains n’ont pas conscience de l’impact de leur comportement sur les autres. D’où, là aussi, l’importance à les former à ce type de compétences durant leur cursus.
Lorsque l’on souhaite être recruté, il est important de montrer que l’on comprend ce que représentent les soft skills et que l’on est en situation de les développer. Monster a fait une étude démontrant que 97% des recruteurs prennent en compte les soft skills. Les jeunes doivent donc être plus que jamais sensibilisés à l’importance de ce type de compétences dans un recrutement comme dans l’exercice de leur activité professionnelle.

Quel conseil donneriez-vous à un manager ? 

On demande beaucoup de choses à un manager : mieux se connaître, être plus à l’écoute du ressenti et de la météo émotionnelle de ses collaborateurs… Tout le monde n’est pas capable de pouvoir rassembler toutes ces compétences d’où l’importance de la formation pour les acquérir ou les renforcer. Le management en distanciel, accentué actuellement par la crise sanitaire, et l’utilisation intensive des outils numériques en a gêné plus d’un/une. Les managers doivent être accompagnés et formés et ne pas hésiter à mobiliser du temps de formation pour être plus et mieux préparés à ces évolutions qui vont en s’accélérant avec une recommandation pour aller aussi vers de l’auto-formation.

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